Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/303

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lement les blessures qui avaient foui la face de l’abbé étaient engravées dans ses os. Les yeux seuls y étaient vivants, comme dans une tête de chair, et ils brûlaient comme deux chandelles. Ah ! je crus qu’ils voyaient mon œil à travers le trou du portail, et que leur feu allait m’éborgner en me brûlant… Mais j’étais endiablé de voir jusqu’au bout… et je regardais ! Il continua de marmotter sa prière, se répondant toujours et sonnant aux endroits où il fallait sonner ; mais pus il s’avançait, pus il se troublait… Il s’embarrassait, il s’arrêtait… On eût gagé qu’il avait oublié sa science… Vère ! i’ n’ savait pus ! Néanmoins il allait encore, buttant à tout mot comme un bègue, et reprenant… quand, arrivé à la préface, il s’arrêta court… Il prit sa tête de mort dans ses mains d’esquelette, comme un homme perdu qui cherche à se rappeler une chose qui peut le sauver et qui ne se la rappelle pas ! Une espèce de courroux lui creva la poitrine… Il voulut consacrer, mais il laissa choir le calice sur l’autel… Il le touchait comme s’il lui eût dévoré les mains. Il avait l’air de devenir fou. Vère ! un mort fou ! Est-ce que les morts peuvent devenir fous jamais ? Ch’était pus qu’horrible ! J’ m’attendais à voir le démon sortir de dessous l’autel, se jeter sur lui et le remporter ! Les dernières fois qu’il se retourna, il avait des larmes, de grosses larmes qui ressemblaient à du plomb fondu, le long de son visage. Il pleurait, ah ! mais il pleurait comme s’il avait été vivant ! « C’est Dieu qui le punit, — me dis-je, — et quelle punition !… » Et les mauvaises pensées me revinrent : vous savez,