Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/48

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« Et vous pensez donc — dis-je à mon Cotentinais — qu’on aurait bien pu jeter un sort sur votre jument, maître Louis Tainnebouy ?

— J’en ai l’idée, — fit-il en réfléchissant et en donnant un revers de la main à son chapeau, qu’il poussa par là sur son oreille, — j’en ai l’idée, monsieur. C’est la vérité, et voici pourquoi. Il y avait hier au marché de Créance, dans le cabaret où j’étais, justement un de ces misérables bergers, la teigne du pays, qui s’en vont en se louant à tous les maîtres. Il était accroupi dans les cendres de l’âtre et faisait chauffer un godet de cidre doux pendant que je finissais un marché avec un herbager de Carente (Carentan). Je venions de nous taper dans la main, quand mon acheteur me dit qu’il avait besoin de quelqu’un pour conduire ses bœufs à Coutances (il allait voir, lui, un de ses oncles malade à Muneville-le-Bengar), et c’est alors que le berger, qui s’acagnardait et buvait au bord de l’âtre, se proposa. « Qui es-tu, toi, pour que je te confie mes bêtes ? — fit l’herbager. — Si maître Tainnebouy te connaît et répond pour toi, je ne demande pas mieux que de te prendre. Répondez-vous du gars, maître Louis ? » — « Ma fé, — dis-je à l’herbager, — prenez-le si vous v’lez, mais j’ m’en lave les mains comme Ponce Pilate ; j’ me soucie pas d’encourir des reproches s’il arrivait quéque malencontre à vos bestiaux. Qui cautionne paye, dit le proverbe, et je ne cautionne point qui je ne connais pas. » — « Alors, va trouver un autre maître ! » a dit le Carentinais, et ça a été tout. Eh bien, à présent, je me rappelle que le berger m’a jeté, de dessous