Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/49

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le manteau de la cheminée, un diable de regard, noir comme le péché, et que je l’ai trouvé qui rôdait du côté de l’écurie quand j’ai été pour prendre la Blanche et partir ! »

Rien, au fond, n’était plus admissible que ce récit de maître Tainnebouy. Pour expliquer l’accident arrivé à son cheval, il n’était pas besoin de creuser jusqu’à l’idée d’un maléfice. Le berger, poussé par le ressentiment, avait pu introduire quelque corps blessant dans le sabot du cheval pour se venger de son maître, comme ce cruel enfant corse (on dit Napoléon) qui enfonça avec son doigt une balle de carabine dans l’oreille du cheval favori de son père, parce que son père lui avait infligé une correction. Seulement, ce qui pour mon Cotentinais révélait l’influence du démon dans toute cette affaire, c’est que la Blanche boitait sans blessure ou motif apparent de boiter. Il avait déposé sa lanterne à terre, sur un petit tertre qui se trouvait là, et il chargeait sa pipe en regardant sa jument, qui, comme tous les animaux souffrants, abaissait d’instinct son intelligente tête vers la partie de son corps qui la faisait souffrir. J’étais descendu de mon cheval à mon tour, et je roulais entre mes doigts les feuilles du maryland que j’allais convertir en cigarettes. Le froid piquait, de plus en plus vif.

« C’est dommage — dis-je en jetant les yeux sur le sol dénudé de tout et où le vent d’ouest n’avait pas seulement roulé une branche d’arbre — que nous n’ayons pas quelque branche de bois mort comme on en trouve parfois d’éparses sur la terre. Nous pourrions allumer une flambée pendant que