Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la troupe : une tête écrasée et livide, aux tempes de vipère, sortant d’une énorme cravate lie-de-vin, métamorphosée pour le moment en valise, car elle contenait une chemise de rechange, volée la veille à un curé ; cet homme, c’était l’horrible et le bouffon réunis. — Tope, sergent ! — répéta-t-il d’une voix enrouée, — c’est parler en homme, ça. Tuons ce Chouan après cette chopine, car nous ne pouvons boire ici jusqu’à demain matin. Mais comment le tuer ? Tu le disais tout à l’heure, citoyen sergent, les flambards des Colonnes Infernales ne sont pas venus ici pour abréger les souffrances d’une chouanaille qui jouit en ce moment de tous les avant-goûts de l’enfer, s’il y en a un. Il faudrait lui inventer une agonie qui lui procurerait, avant la culbute définitive, l’enfer tout entier !

— Par le diable et ses cornes ! tu as raison, Sifflet-de-voleur. — Le Bleu, en effet, avait le nez taillé en cette aimable forme, et il en tirait son nom de guerre. — Il faut le tuer, comme dit le capitaine Morisset, avec l’intelligence de la chose. Je vous forme en conseil de guerre, citoyens, pour délibérer sur le genre de mort qu’il convient d’infliger à ce brigand-là ! »

Et ils remplirent leurs cinq godets de Monroc comme pour s’inspirer.

L’infortunée Marie Hecquet voulut intervenir au nom de tous les sentiments naturels soulevés dans son cœur. Elle implora, avec des paroles de feu et des larmes, ces cinq hommes sourds à toute pitié. C’était à croire ce qu’elle leur avait dit d’abord, qu’elle était la mère du blessé, tant elle fut pathétique dans ses