Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/87

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si grande qu’elle ne pût très bien attendre l’occasion favorable pour la satisfaire. Elle se remit donc à suivre et à chanter les vêpres ; mais, involontairement, ses yeux se portaient de temps en temps sur les lignes altières de ce capuchon noir, immobile et debout dans sa stalle fermée, autour duquel l’ombre des voûtes, croissant à chaque minute, tombait un peu plus.

Cependant, à cause peut-être de la réouverture récente des églises, il y avait un salut, ce dimanche-là, à l’église de Blanchelande, et comme d’usage, quand les vêpres furent dites, on se mit en devoir de couronner ce touchant office du soir, dont la psalmodie berce les âmes religieuses sur un flot d’émotions divines, par l’éclat d’une bénédiction. Les cierges, éteints après le Magnificat, se rallumèrent. L’hymne s’élança de toutes les poitrines, l’encens roula en fumée sous les voûtes du chœur, et la procession s’avança bientôt dans la nef pour se replier autour de l’église et de sa forêt de colonnes, comme une vivante spirale d’or et de feu. Rien n’est beau comme cet instant solennel des cérémonies catholiques, alors que les prêtres, vêtus de leurs blancs surplis ou de chapes étincelantes, marchent lentement, précédant le dais et suivant la croix d’argent qu’éclairent les cierges par-dessous, et qui coupe de son éclat l’ombre des voûtes dans laquelle elle semble nager, comme la croix, il y a dix-huit siècles, sillonna les ténèbres qui couvraient le monde.

Or, ce soir-là, le salut était d’autant plus beau à l’église de Blanchelande pour ces paysans prosternés,