Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Feuardent avaient été une famille puissante.

Des fautes, des malheurs, des passions, cette triple cause de tous les renversements de ce monde, avaient, depuis plusieurs siècles, poussé, de générations en générations, les Feuardent à une ruine complète. Avant que 1789 éclatât, cette ruine était consommée.

Jeanne-Madelaine de Feuardent, le dernier rejeton du vieux chêne normand déraciné, orpheline à la merci du sort, fut recueillie par la famille des Aveline, qui avait de grandes obligations aux Feuardent, et qui l’éleva avec ses autres enfants comme un enfant de plus. Sans cela, elle aurait pu aller rejoindre dans leur misère ces marquis de Pottigny, « que j’ai vus aux portes, monsieur ! » me disait maître Louis Tainnebouy avec une espèce d’horreur religieuse, mourant éclat de cette flamme divine du respect des races, éteinte maintenant dans tous les cœurs et qui brillait encore dans ce dernier peut-être des paysans d’autrefois !

Les Aveline (Aveline de la Saussaye, comme ils se faisaient appeler) étaient de ces bourgeois d’un honneur antique, qui, sous l’ancienne monarchie française, étaient les nobles du lendemain, car la noblesse finissait toujours par leur ouvrir son sein, en les invertissant de certaines charges, grave initiation à la vie publique, qu’on ne définissait point comme aujourd’hui : le gouvernement de tous par tous, — ce qui est impossible et absurde, — mais le gouvernement de tous par quelques-uns, ce qui est possible,