Page:Barbey d’Aurevilly - Le Cachet d’onyx, Léa, 1921.djvu/36

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mariée à un autre que celui qui l’a possédée, épouse tendre et soumise, mère de famille irréprochable, chaste prêtresse des dieux domestiques. À ce compte-là, le vice ne laisserait que des stigmates embellissants comme des blessures dans une face de brave. À ce compte-là, l’âme se donne et se reprend comme l’amour nuptial entre des époux divorcés. La réalité n’est point ainsi. À force d’avoir voulu être moral dans son livre, Rousseau a exagéré la puissance de la volonté et les efforts du repentir. On ne pouvait mentir plus noblement à la nature humaine, mais enfin Rousseau a menti et sa Julie d’Étanges est un sophisme. Un sophisme de plus, senti, rendu avec génie, si ce n’est un blasphème plein de séduction et de charme, à l’égal presque d’une pure et grande vérité, un étonnant tour de force comme il les faisait tout en se jouant, cet acrobate de la pensée, aux reins cambrés et musculeux. Ou, le jour qu’elle s’est livrée, sa Julie était comme tant d’autres, qui, prenant leurs sens pour leur cœur, veulent de ce pauvre amour qui n’est, hélas ! que de la volupté passée au filtre, mais du moins de la volupté qu’on peut nommer et non plus de celle-là que l’on a cherchée adolescent dans des insomnies qui cernent les