Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/15

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cette espèce est très-moderne en France et il a fallu les transformations successives par lesquelles nous sommes passés depuis la Révolution française, pour que des femmes qui n’étaient ni bossues, ni laides, ni bréhaignes, eussent l’idée de se mettre en équation avec l’homme, et que les hommes, devenus aussi femmes qu’elles, eussent la bassesse de le souffrir.

Car ils l’ont souffert, — et ils ont fait pis : ils l’ont accepté. Ils ont cru légitime la prétention de la femme en matière d’égalité cérébrale avec l’homme ; et, si philosophiquement, ils ont reculé devant la thèse elle-même et l’absolu des termes sur lesquels elle s’appuie, la plupart, dans la pratique, ont parlé comme s’ils l’admettaient, même ceux qui devaient s’y connaître, les brasseurs de choses intellectuelles, les gens qui, par métier, font observation d’esprit humain. Comptez combien il y a, en ce moment, de critiques en France qui n’aient déclaré sérieusement que Mme  Sand est un génie ! Le méprisant Chateaubriand lui-même, qui a fini dans le mépris de tout, comme on finit à la Trappe, a eu la faiblesse de cette flatterie.

D’ailleurs il n’y a pas que la lâcheté des hommes vis-à-vis des femmes dans l’ambition qu’elles montrent aujourd’hui. Il y a un monde d’autres choses ; mais comptez en premier l’influence du principe qui commande au siècle, et qui, comme tout principe, doit se vider, un jour ou l’autre, intégralement de tout ce qu’il contient. Rudement mais nettement posé par la Révolution française, et toujours frémissant dans les limites entre lesquelles Napoléon, qui savait l’indomptabilité du monstre, l’enferma, le principe de l’Égalité sautera, dans un temps donné, ses barrières. L’Égalité civile et politique n’est qu’une égalité relative, une part faite à qui veut tout prendre, car les principes sont absolus. En ce moment du siècle, il roule dans les esprits, qui en tressaillent, l’idée d’une égalité bien autrement profonde que cette égalité chétive ; et les femmes qui, en Gaule,