Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/196

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tous les deux à peu près le même nombre de pages. Et ce n’est pas un mirage, cela, c’est une réalité !…

Les livres ne ressemblent-ils pas aux chemins, dont la longueur ne se mesure point au nombre de pas qu’ils nous obligent à faire, mais à l’intérêt ou à l’ennui de la pensée, pendant qu’on les fait ? Eh bien, l’histoire de cette aimable et pieuse Russe, femme du monde restée femme du monde, heureusement ! et que je me risquerais presque à appeler une Sainte du monde, semble, sous la plume de M. de Falloux, aussi longue que la route à faire de Paris à Saint-Pétersbourg.

C’était Rivarol qui disait, je crois, qu’il ne fallait pas attacher de plomb à une robe de gaze, mais le conseil de Rivarol n’a pas été suivi par M. de Falloux, et toute la pauvre gaze de Mme Swetchine a été plombée ! Sur quelle bobine ventrue nous a-t-on dévidé le fil léger de cette existence spirituelle ?… Mme Swetchine, pensez-y donc ! Mme Swetchine, qui a écrit ce que nous avons d’elle sur de petits bouts de papier, non pas avec une plume, mais avec un crayon, parce que, écrire au crayon, c’est parler bas, a-t-elle dit avec une fine modestie ; Mme Swetchine, dont le mérite et même la vertu est de n’être jamais auteur en quatre points, à la manière des femmes publiques de lettres, qui se croient des fonctionnaires, n’avait pas besoin de tant de jour versé sur elle.

J’aurais mieux aimé qu’elle fût restée dans cette pénombre qu’avec son goût et son détachement de toute gloire, elle avait choisie. Il seyait à cette pure femme de n’être vue que dans le jour respectueux du souvenir de quelque grande amitié qui répondait pour elle, comme celle de Joseph de Maistre, par exemple, ou dans la lumière, émue et rougissante, dont les quelques gouttes tremblent d’une manière si charmante, dans ce peu de pages qu’elle nous a laissées.

Mais l’amitié a ses aveuglements comme l’amour. M. de Falloux a cru bien faire de nous raconter toute