Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/201

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Il faut bien l’avouer, cette dévotion-là, ne fût-elle pas pédante ou pincée, a une discrétion qui baisse ses coiffes, même sur le front d’une Mme de Maintenon, tandis que la piété de Mme Swetchine ne baisse pas les siennes, car elle n’a pas de coiffes ; elle a le front tout nu, sous ses cheveux blancs et dans ses rides, comme il convient à une vieille femme, heureuse d’être, par la vieillesse, devenue une voisine de Dieu !

C’est ce sentiment du voisinage de Dieu qui a inspiré à Mme Swetchine d’admirables pages consolatrices sur la vieillesse, qui mettent mieux que de la charpie, mais un dictame, sur le mal cruel d’être vieux. Chirurgienne d’abord, elle a un courage d’analyse qui a dû affreusement lui coûter, car sur le tranchant de son scalpel ont dû couler, mêlés, le sang de l’amour-propre et celui de l’autre amour ; mais comme la Sœur de Charité, vite, y succède ! la Sœur de Charité des vieillards, qui leur fait aimer leur vieillesse comme ils aimèrent leur jeunesse autrefois, et qui sait même la leur faire préférer !

Ah ! le vieux moralisme païen est vaincu ! Cicéron et Sénèque et tous les autres, avec leurs Traités sur la vieillesse, orgueilleux et impuissants, qui, quand on les a lus, ne rendent que plus folles les âmes ardentes, les voilà effacés par quelques mots, écrits au crayon, sur son papier à papillotes, par une main de vieille femme, qui, ce soir-là, peut-être encore avait la goutte ! Hippocrate aussi est vaincu par cette souveraine ordonnance contre le plus grand mal de la vie et qui le guérit par un miracle. On y croit, à ce miracle étrange, — consoler d’être vieux, — plus étonnant que la résurrection des morts, parce que celle qui l’annonce a sur ses lèvres guéries l’onction divine qui y fait croire ; parce que, thaumaturge, elle est elle-même le miracle, avant de l’accomplir sur vous !!!