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III


Je n’hésite point à l’affirmer, c’est ce fragment sur la vieillesse (je n’écrirai jamais ce mot pédantesque de Traité, à propos des échappements de cœur de Mme Swetchine), c’est ce fragment que je préfère, lui, à tout dans ce livre, qu’on a fait pour elle, avec ces petits morceaux de papier qu’elle jetait dans sa corbeille, comme des chiffons de plus ! Je connais un théologien mystique qui, autrefois, fut un poëte et qui l’est resté pour mettre encore cela dans l’encensoir d’or qu’il a allumé devant Dieu, et qui préfère, lui, le fragment sur la Résignation ; mais moi, non ! Peut-être est-ce parce que je suis plus près d’être vieux que d’être résigné…

J’avoue cependant que c’est là un morceau d’une rare beauté et d’une éloquence bien pénétrante. La plus chère vertu de Mme Swetchine, de cette femme si femme, c’est la résignation, cette force de la faiblesse. Il y en a jusque dans sa gaieté, cette gaieté que j’ai dit qu’elle avait introduite dans la foi. Tout ce qu’elle a écrit sur la plupart des sujets même mondains qui ont occupé sa pensée, sue cette sueur d’un sang apaisé qui coule doucement sans se révolter contre les blessures d’où elle tombe. Elle avait beaucoup souffert, et quoiqu’elle n’ait pas éventé ses douleurs dans des phrases qui soulagent parfois, on le voit, on le sent. Les pleurs essuyés, on voit encore longtemps, après qu’on a pleuré, qu’il a passé par là des larmes !

Faite pour être mère, elle ne l’avait point été. C’est encore une manière de perdre un enfant que de n’en pas avoir, et il avait fallu se résigner à ne voir jamais, dans sa vie, de berceau sur lequel on puisse sourire, ce qui équivaut pour une âme de femme à une tombe sur laquelle on doit, hélas ! pleurer toujours ! Il n’est donc pas étonnant que cette vertu nécessaire et bientôt préférée de la résignation ait porté à Mme Swetchine et à sa