Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/53

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Launay, chef-d’œuvre de la légèreté féminine, qui est pour le dix-neuvième siècle ce que les lettres de Mme  de Sévigné sont pour le dix-septième, mais Mme  Sophie Gay n’eut pas un pareil bonheur… Mme  Sophie Gay, qui a fait une montagne de romans que je ne conseillerai à personne de gravir, et dans lesquels je retrouve, ensemble ou tour à tour, les influences, déteintes ou mélangées, de Picard, de Droz, de Sénancourt, et surtout de Mme  de Genlis, non pour la raison, que Mme  de Genlis avait, mais pour l’agrément, que Mme  de Genlis n’avait pas, Mme  Sophie Gay a, comme sa fille, voulu une fois faire son livre de femme, — un livre dans lequel la prétention virile et l’imitation des littérateurs de son temps qui avaient eu du succès, — ces deux choses qui constituent le bas-bleuisme — pouvaient n’être absolument pour rien, et ce livre, dont le titre frappe au milieu des autres titres de ses œuvres (la Physiologie du Ridicule) prouve au contraire combien chez Mme  Gay, le bas-bleu avait rongé la femme, et combien elle était peu propre à traiter un sujet qui demandait plus qu’aucun autre les qualités naturelles à la femme, c’est-à-dire de la grâce sincère et, à force de finesse, de la profondeur. Un livre sur le ridicule est, en effet, un ouvrage de femme tout autant qu’une broderie au tambour. Il n’y a qu’une femme qui ait assez de pointe d’aiguille ou d’épingle dans l’esprit pour toucher, aux endroits qu’il faut, ce sujet trop fin pour les gros doigts de l’homme, et c’est surtout ici que le sexe de l’auteur est nécessaire au sujet et à la valeur des aperçus.


III

Eh bien ! le bas-bleu qu’elle était le manqua, ce sujet de femme ! Elle ne se préoccupa nullement de la vérité du ridicule et de ce qui fait sa réalité, mais elle prit une