Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

thèse de salon, un paradoxe d’après le café, et elle en composa son ouvrage. Ce fut comme une sonate qu’elle exécutait. Elle se ressouvint qu’elle était l’auteur du Moqueur amoureux — un joli sujet qu’elle a manqué aussi, — et son livre fut une moquerie. Mondaine et pédante, superficielle et lourde, en même temps — car les bas-bleus ont ces défauts contradictoires, — Mme  Sophie Gay, l’auteur de la Physiologie du Ridicule, au lieu de traiter sincèrement son sujet, en fait une mauvaise plaisanterie, et le rire de cette moqueuse n’est ni assez amer ni assez gai pour que nous puissions lui pardonner les mensonges et les superficialités de son ironie…

Figurez-vous Mme  de Staël, qui eut aussi des quarts d’heure de bas-bleuisme, qu’elle rachetait non par des inspirations momentanées comme Mme  Émile de Girardin, mais par le génie, qui absout tout, figurez-vous Mme  de Staël analysant, anatomisant le ridicule ! Vous avez un chef-d’œuvre de dissection, de profondeur subtile et de vérité. Mme  Gay, au contraire, se contente de cette notion plus ou moins comique : « Le ridicule est la meilleure chance qu’ont les hommes d’être heureux, » et voilà le thème qu’elle brode ! Son livre n’a rien de philosophique. C’est une mystification perpétuelle.

Moraliste, c’est-à-dire sensualiste, comme le sont la plupart des femmes qui ne voient le but de la vie que dans cette misère du bonheur terrestre, Mme  Gay n’a regardé le ridicule que par son côté extérieur, et peut-être ai-je appelé trop vite une mystification ce qui est pour elle le sérieux de la vie : mais si cela est, Mme  Sophie Gay est encore plus médiocre que tout à l’heure je ne le supposais, et c’est le doute dans lequel elle jette l’intelligence de son lecteur, qui est la meilleure raison à donner contre son livre. Les hommes sont très-lâches, je le sais, mais ils ne le sont pas cependant encore au point d’accepter la chiquenaude sur le nez d’une moquerie, quand ils s’attendaient à la marque d’estime d’une vérité.