Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/82

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corde, — durera-t-elle assez pour que cette argile de la célébrité se durcisse au souffle du temps et devienne le marbre de la gloire ? Ses œuvres d’il y a trente ans ont-elles conservé la radieuse fraîcheur des œuvres faites pour l’immortalité ? N’ont-elles pas vieilli assez déjà pour nous permettre de prévoir qu’un jour elles pourraient bien mourir ? Il y a du démodé aussi dans les premiers héros et les premières héroïnes de Mme Sand, comme il y en a dans les héros et les héroïnes de Mme de Montolieu ou de Mme Riccoboni. Le style qui sauve tout, le style qui empêche, dans Mme de Staël, qu’Oswald avec ses bottes à glands, Corinne avec sa harpe, ne soient des gravures de l’Empire ; le style conservera-t-il les inventions de Mme Sand, — de cette femme qui n’eut pour tout génie d’invention que d’être mal mariée, bohème et démocrate, et qui n’a jamais que ces trois sources d’inspiration : le mauvais ménage, le cabotinisme et la mésalliance, par haine du noble et amour de l’ouvrier ? Le style, qui est le mérite le plus généralement admis des mérites de Mme Sand, est-il vraiment, comme on l’a dit, un style de génie ? Est-il certain qu’il n’a pas pâli, qu’il ne périra point et qu’il porte vraiment cette couronne des styles de génie, qui fait grincer des dents aux égalitaires de la littérature médiocre : — l’originalité ?

Eh bien ! je touche ici à une chose profonde ; je touche à l’explication du succès immense de Mme Sand. Elle n’a point d’originalité. Elle a cette chance, pour son bonheur littéraire du moment, de n’avoir pas d’originalité. Ah ! elle est bien heureuse ! Elle ne choque personne par ce grand côté de l’esprit que les forts seuls savent aimer et que les moyennes intellectuelles qui lisent, détestent. — À la place, elle a ce qui plaît, avant tout, aux moyennes, l’abondance et la facilité. Comme son style est coulant ! disent les bourgeois. C’est leur éloge suprême. Ils ne se soucient guère de ce qu’il charrie de limon, pourvu qu’il coule ; car Mme Sand, qui a l’abon-