Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/166

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son tour, et nous ne croyons pas que, dans des esprits passablement faits, il puisse remplacer le système de l’école théologique, comme dit M. Renan avec un dédain assez contenu, mais il n’en a pas moins pour visée de le remplacer.

Ce système, qui consiste à affirmer sans preuves possibles, du moins dans l’Essai actuel de M. Renan, « que le langage de l’homme s’est comme formé d’un seul coup, et est comme sorti instantanément du génie de chaque race », pose donc la diversité de la race à la première ligne de son affirmation. Voilà qui est acquis. Le langage fut constitué dès le premier jour, mais il faut savoir ce que M. Ernest Renan entend par le premier jour. « Cette expression de premier jour (dit-il à la page 19 de sa préface) n’est-elle qu’une métaphore pour désigner un état plus ou moins long durant lequel s’accomplit le mystère de l’apparition de la conscience ? » Quant à la langue primitive de cette période métaphore, il est impossible de la retrouver. Seulement, « pour construire scientifiquement la théorie des premiers âges de l’humanité, il faut étudier l’enfant et le sauvage », c’est-à-dire le sens sur le contre-sens, la lumière sur les ténèbres, et la montée sur la descente. Nous savons ce que l’enfant et le sauvage nous donnent, quoique M. Renan prétende que le sourd-muet se crée tout seul des moyens d’expression (page 97) supérieurs à ceux qu’on lui enseigne ; ce qui prouve que l’abbé de l’Épée était un sot. Sans le verbe qui leur allume l’esprit et le cœur, le sauvage et l’enfant croupiraient éternellement dans l’argile de leur organisme, comme avant Pygmalion et l’Amour, il n’y avait pas de Galatée !