Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/207

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Telle est la beauté des Pensées. Ce n’est pas la partie des Pensées qui veut fonder, qui essaie de construire, qui raisonne enfin, qui est la plus sublime en Pascal, c’est la partie qui tremble, crie et doute, a horreur de douter, doute encore et s’épouvante de son doute vis-à-vis de la seule clarté qu’il y ait pour elle, l’épouvantante clarté de Dieu ! Effrayant génie que Pascal ! a dit Chateaubriand. Ah ! il eût dû dire effrayé ! car l’effroi qu’il ressent est encore plus terrible que celui qu’il cause. C’est l’épouvante jusqu’à la poésie de l’épouvante ! Oui, sous les lignes brisées de ce grand dessin géométrique qu’on aperçoit encore en ces Pensées, comme le plan interrompu d’une Pompéï quelconque après le tremblement de terre qui l’a engloutie, il y a une poésie, une poésie qu’on ne connaissait pas avant Pascal, dans son siècle réglé et tiré à quatre épingles ; la poésie du désespoir, de la foi par désespoir, de l’amour de Dieu par désespoir ! une poésie à faire pâlir celle de ce Byron qui viendra un siècle plus tard, et de ce Shakespeare qui est venu un siècle plus tôt ! Pascal, en effet, c’est le Hamlet du catholicisme, un Hamlet plus mâle et plus sombre que le beau damoysel de Shakespeare, mais c’est tout à la fois le poëme et le poëte ! C’est un Hamlet, mort à trente ans passés, qui n’eut pas d’Ophélie, qui cause aussi, et dans quelle langue, grand Dieu ! avec la tête de mort que les solitaires mettent auprès de leur crucifix, et qui, s’il se rejette, comme l’autre Hamlet, en arrière devant le trou de la tombe, c’est qu’au fond il voit l’enfer, que l’autre Hamlet n’y voyait. pas !

Ainsi, c’est un poëte, en définitive, que Pascal. C’est le