Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/200

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L’égoïsme est béni dès qu’il a son complice ;

L’être est complet dès lors qu’il n’est ni toi ni moi ! Tu voudrais voir, dis-tu, pour la vie éternelle,

Nos deux âmes se perdre en la même étincelle ;

Si bien qu’on ne saurait en séparer les feux. Va ! laisse-les s’unir, mais non pas se confondre !

Que deviendrait l’amour, s’il ne pouvait répondre

A la soif de chacun dans l’ivresse des deux ? …

Certes, il y a là, — n’est-ce pas ? — une flamme humaine trop tôt éteinte, un cri du cœur trop tôt interrompu et qu’on n’est guère accoutumé de voir ni d’entendre parmi les poètes de la niellure et des intailles sur onyx, en ces Sonnets qui sont maintenant les pierres gravées de la littérature. Ce qui fait M. Joséphin Soulary bien supérieur à tous les autres poètes d’une École qui ne se soucie que de l’expression, c’est le fond humain qui palpite en lui, c’est cette profonde sensibilité qui est toujours exquise, — quand elle cesse d’être cruelle. Passez-moi un sonnet encore ! Celui-là s’appelle les Deux Cortèges :

Deux cortèges se sont rencontrés à l’église.

L’un est morne ; — il conduit la bière d’un enfant.

Une femme le suit, — presque folle, — étouffant

Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise. L’autre, c’est un baptême : — au bras qui le défend

Un nourrisson bégaie une note indécise ;

Sa mère, lui tendant son doux sein qu’il épuise,

L’embrasse tout entier d’un regard triomphant ! On baptise, on absout, — et le temple se vide.

Les deux femmes, alors, se croisant sous l’abside,

Échangent un coup d’œil aussitôt détourné.