Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/227

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mieux. Il a travaillé cette poésie dont il avait joui, comme un autre, car cette poésie se travaille. C’est une inspiration, je l’accorde bien. L’inspiration est l’étoffe dont toutes les poésies sont faites, mais c’est encore plus une exécution… Il s’y est donc mis avec une patiente ardeur, et s’il ne l’a pas inventée, il l’a perfectionnée, et je crois qu’après lui, on n’aura plus à la perfectionner. Elle restera ce qu’il l’a faite.

Dans la langue, le rhythme, le mètre, la rime, l’entente du vers, ses ressources, son économie, la souveraineté du poète sur le vers, je ne crois pas qu’on puisse aller plus loin, et c’est tant mieux, sans doute. Un pas de plus dans le sens de cette poésie, qui est l’extrémité du rayon dont l’âme est le centre ; un pas de plus vers la circonférence des choses, et on trouverait la matière sèche, — sourde-muette inféconde, — la chinoiserie ; et le vers oubliant bientôt sa profonde destinée d’harmonie, ne demanderait plus sa mesure à l’oreille, mais aux yeux ! Vous étonnerez-vous ? L’auteur des Colifichets, toujours à outrance, toujours aussi mors aux dents et cheval échappé que dans sa jeunesse, a rasé le bord du précipice, et même s’y est penché, car il a, ma foi ! osé nous donner, dans son recueil d’aujourd’hui, une poésie d’yeux, après tant de poésies d’oreilles, et il y a dessiné, physiquement et géométriquement dessiné, en figure de pyramide, taillant pour cela ses vers comme des pierres, la poésie qui porte ce nom ! Transposition bizarre que l’art désavoue ! Cette pyramide physique qui, en poésie, est une barbarie ou une corruption, l’audacieux poète s’est-il permis de l’élever, solitaire, parmi ses autres poésies, comme un avertissement de ne pas