Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/229

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cette poésie dont il nous donne aujourd’hui un échantillon si étrange, sur la poésie qu’après celles des Colifichets il rêve peut-être, et dans laquelle il est bien capable de se jeter à corps perdu demain ! Eh bien ! qu’il me permette de le lui dire, c’est la seule de ses audaces contre laquelle je m’inscrirais.

Le livre que voici et dans lequel la langue poétique, non pas déchaînée, mais comme parée des entraves de sa prosodie, danse dans toutes les mesures du rhythme et du mètre, au bruit de la double cymbale de ses rimes, en des vers ardents, fourmillants, mouvementés, sensuels d’éclat, de lignes courbes, de torsions charmantes, d’allures folles, un pareil livre rappelle la kermesse de Rubens, mais comprenez-le bien et ne l’oubliez pas ! Ce ne sont point ici les sujets de ces poésies qui sont la kermesse. C’est la langue même, ce sont les vers et jusqu’aux mots dont les vers sont faits ! Oui, c’est la langue, la langue poétique qui donne à ceux qui l’aiment une fête splendide !

Et comme cette poésie de l’expression enivrée, ne saurait, sans entrer dans une sphère qui ne serait plus la sienne, être dépassée, fût-ce par celui qui l’a produite avec cette supériorité d’exécution, de verve et de souplesse, il faut nécessairement s’arrêter et ne plus vouloir y ajouter encore par des tentatives qui fausseraient la conception de cette poésie, et même de toute poésie. Voilà pourquoi bien loin d’encourager M. Amédée Pommier, cet artiste acharné qui n’a pas besoin de l’impulsion des autres, à des effets nouveaux et à des tentatives nouvelles, nous lui conseillons plutôt, maintenant qu’il a prouvé qu’il pouvait être un grand maître dans l’art des vers pour les vers,