Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/349

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la prose, est un poème dans la pensée de son auteur, et un poème où, comme dans Childe-Harold (car M. Quinet fait toujours toutes choses comme quelqu’un), la personnalité de l’auteur se mêle souvent à celle du héros, je trouve ces lignes parfaitement nettes sous leur emphase :

« D’autres peut-être seront loués plus que moi dans leurs pièces détachées. Leur versification sera plus applaudie. D’autres encore remporteront le prix de la chanson et de l’ode, quoique moi aussi j’aie frappé quelquefois à la porte des hymnes, fermée depuis le bon Pindare. Mais difficilement me refusera-t-on l’honneur d’avoir abordé les grands sujets, composé de vastes ensembles, suivi le fil des immenses labyrinthes, porté le fardeau des hardies inventions, en un mot, tenté les voies qui demandent non pas un essor pindarique d’un moment, mais une aile infatigable pour parcourir, sans se lasser, le champ de l’épopée. » (Voir tome II, pages 327 et 328.)

Telles sont les prétentions de M. Quinet. J’aurais peut-être, pour mon compte, hésité à l’en accuser, mais c’est lui-même qui les avoue. C’est là sa pensée et c’est là son histoire. Vous vous en souvenez, il a débuté, en littérature, par son gros livre d’Ahasverus, dans un temps où jeunes de toute manière, hélas ! c’est-à-dire sans expérience et pleins d’illusions, nous étions indulgents à toute espèce de livres, pour peu qu’ils ne fussent pas dans la tradition du XVIIe siècle ! Ahasverus voulait être une épopée en prose, comme Merlin l’Enchanteur ; tirée des légendes, comme Merlin, et sous la forme légendaire et poétique, cachant, comme Merlin, une philosophie, laquelle est