Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/85

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dans les plus belles pièces d’Émaux et Camées. C’est qu’indépendamment d’une expression herculéenne d’étreinte, quand il s’agit d’appréhender et de serrer les contours du monde extérieur, M. Gautier est un esprit hardi, absolu, qui ne se donne pas à moitié. Il a la vaillance ! Il n’est pas, lui, un panthéiste d’entre la chèvre et le chou, d’entre les chênes qu’on fait parler comme un idolâtre, et les crucifix devant lesquels on s’agenouille comme un chrétien *… Non pas ! c’est un panthéiste à pleines bordées ; panthéiste aujourd’hui comme il était matérialiste hier. Prenez son recueil : il commence par cette ode qu’il appelle un madrigal panthéiste (jour de Dieu ! quel madrigal ! ), et qu’il intitule Les Affinités secrètes, et voyez si, dès ces magnifiques premières pages, il n’a pas épousé le Panthéisme mieux que le Doge n’épousait la mer, car le Doge n’y jetait que son anneau, tandis que le poète d’Émaux et Camées, en épousant le Panthéisme, s’y jette tout entier !

  • M. Victor Laprade.

Eh bien ! selon nous, voilà un progrès, — relatif, il est vrai, — mais un progrès, pourtant, dont il faut tenir compte, car c’est un élargissement dans l’idée et dans la manière de l’auteur, la manière, cette cire dont l’idée est le sceau ! L’aile de la Muse de M. Gautier, cette Muse de la réalité terrestre, entourée, comme la Mélancolie d’Albert Durer, d’objets, affreux ou immondes, a grandi de plus d’un empan et s’est ouverte dans Émaux et Camées. Grandira-t-elle ainsi toujours ? Nous l’ignorons, seulement elle s’est développée dans ce livre où le poète n’avait pour but,