Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/170

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depuis les Fleurs du mal de Baudelaire. Et même c’est plus beau, car dans le mal, — le mal absolu, — c’est plus pur. Les poésies célèbres de Baudelaire ne sont que l’expression des sens révoltés qui se tordent dans l’épuisement et la fureur de leur impuissance, serpents de Laocoon qui n’ont plus à étreindre que le fumier sur lequel ils meurent. Mais les poésies de madame Ackermann sont le chaste désespoir de l’esprit seul !… Ses blasphèmes, à elle, n’ont pas la purulence des blasphèmes de Baudelaire. Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indique que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, — comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber. Transposition singulière, quand on les compare ! C’est l’homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l’homme n’a pas chanté.

II

Je ne crois pas, du reste, que dans la littérature de ce vieux monde moderne, qui se croit moderne et qui