Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/171

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n’est que vieux, inspiration pareille à celle de ces poésies ait déjà passé. Nous avons eu, il est vrai, quelquefois, des podsies impies et blasphématoires, mais ce n’étaient point des poésies personnelles. Ceux qui osèrent les écrire ne les écrivaient point pour leur propre compte et en leur nom. Milton se couvrait de Satan, lord Byron de Manfred et de Satan encore. Un jour même, Lamartine, ce cygne blanc devenu noir tout à coup, écrivit son ode du Désespoir, — mais ce ne fut là qu’une minute d’impiété entre deux Méditations repenties, et il reprit presque au même instant la nitidité de son plumage. Mais de poète lyrique restant dans sa peau et dans son âme à lui, et chantant pour son compte sur le mode terrible de cette impiété, carrée et solide comme un cube, franchement, avant ceci, je n’en connaissais pas !

Lucrèce lui-même, qu’en quelques endroits l’auteur des Poésies philosophiques rappelle ; Lucrèce, ce poète des choses, mais qui n’en avait pas les larmes, n’a point non plus cet athéisme net, articulé et définitif, qui étreint le néant avec des bras pâmés d’Ixion s’efforçant de féconder sa dernière chimère. Sous le marbre de son expression, le vers de Lucrèce ne semblet-il pas trembler un peu de ce qu’il cache et de ce qu’il exprime ? car les Romains, même en décadence, avaient une police religieuse que nous n’avons plus. Pour nous, le vers dans lequel chante maintenant le poète athée peut être intrépide à bon marché et ne