Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/172

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pas trembler. Et, de fait, pour qu’il chantât comme le voici qui chante, il fallait les temps où nous sommes arrivés. Il fallait que la Philosophie n’eût plus la honte de ses espérances et la vergogne de ses affirmations, et que la société décrépite à laquelle on manque de respect eût l’oreille assez faite à tout pour, sans châtier rien, tout entendre.

Situation nouvelle, et qui n’est que d’hier ! Un très grand poète anglais, mais malheureusement empoisonné par l’Allemagne, eut, je le sais, il y a quarante ans, la fatuité d’être un athée à visage nud ; c’était Bishe Shelley, l’ami de lordByron. Mais son athéisme, à cetinnocent Capanée, se borna à s’en aller écrire au sommet du mont Saint-Gothard le mot d’athée après son nom. Dans ses poèmes, qui étaient pour lui, comme pour tous les poètes, la vraie réalité de sa vie, il n’était et ne fut jamais que le beau panthéiste dont les vers — malgré lui et retournés contre lui — sont des adorations de Dieu à travers les adorations de la natureDe son temps, qui pourtant n’est pas très lointain, le poète athée, organisé dans toute l’animalité de son athéisme, n’était encore qu’une larve roulant dans son chaos. Pour qu’il s’accomplit, ce lion monstrueux, pour qu’il s’articulât et se mît sur pattes, il fallait le temps où nous sommes parvenus. Un poète athée (comme Diderot l’était à certaines heures, par exemple quand il disait que la chair se fait comme le marbre) ; un poète athée (comme Lamettrie, quand il