Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/197

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que de l’émotion du critique. Mon impression fut excessivement vive quand je lus le livre d’enfilée, et l’enthousiasme me prit au point que j’eus besoin de réflexion et d’une seconde lecture pour en apercevoir les défauts. Ils sont cachés par tant de qualités brillantes, que, d’abord, on ne les voit pas. Le livre est entraînant, et c’est peut-être ce qui l’a fait trouver dangereux… Je crois qu’on peut dire à la décharge du poète de la Chanson des Gueux, qu’il n’a pensé qu’à son effet littéraire. Il ne s : cst pas préoccupé de l’effet moral de son livre, et il a appris à ses dépens que d’autres pouvaient s’en préoccuper. Selon moi, —je l’ai dit, mais j’insiste parce que la cause est grave et que le poète condamné de la Chanson des Gueux vaut la peine qu’on insiste, — toutes les qualités de sa poésie, qui n’est pas que truande et féroce, acharnée, archiloquienne, mais souvent d’une tendresse et d’une compassion infinies(voir, entre autres, le Chemin creux, les Pleurs de FArsouille, et surtout le Grand-Père sans enfants), appartiennent à son âme, et les défauts de cette poésie à son temps et au malheur qui Fa fait naître au xixe siècle. L’absence de foi religieuse, l’indifférence de tout ce qui créaitla vie morale autrefois, ont empêché son observation d’être complète et lui ont mutilé son œuvre. Voilà ce qu’il y a gagné. Généreux d’instinct, il n’a vu que les côtés sombres, cruels, vicieux, menaçants de la pauvreté, comme le grand Balzac (ce qui, du reste, n’est pas une excuse),