Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/245

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avec lesquels il a pourtant des parentés si étroites et si évidentes. Jetez, en effet, dans un mortier, Alfred de Musset et Victor Hugo, broyez et mêlez, et vous aurez une combinaison, une composition poétique qui pourrait bien s’appeler Théodore de Banville. Seulement, cette composition brillera d’une étincelle divine qui n’est pas dans ses éléments constitutifs, —qui n’est ni dansMusset, nidansHugo, —etc’estlagaieté, la gaieté dans le lyrisme, le lyrisme qui semble l’exclure ! Hugo, c’est l’emphase et c’est l’antithèse, — ce qui n’est pas très gai, — et de Musset, c’est la passion et c’est la finesse, qui ne fait pas rire, mais qui fait sourire, comme faisait sourire Marivaux et la délicieuse mademoiselle Mars, née pour ajouter à ce sourire ! M. de Banville a l’emphase comme son père, Hugo, mais il sait l’égayer. Il a l’emphase gaie, et sa gaieté n’est pas celle non plus de son oncle, Alfred de Musset ; ce n’est pas lagaieté de l’auteur d’Un Spectacle dans un fauteuil, qui vient d’une observation sociale très raffinée. La sienne vient de l’imagination pure. Elle n’est pas française ; elle est italienne.Elle est cette gaieté italienne qui est simplement parce qu’elle est, et dont madame de Staël a si bien parlé, elle qui ne l’avait point et qui l’aimait comme on aime ce que l’on n’a pas ! C’est une gaieté à la Watteau, une gaieté qui rit pour rire et pour le seul bonheur que cela f ait… La gaieté de M. de Banville rit sans malice. Elle se soucie bien de la réalité ! Elle rit avec des dents d’opale qui n’ont jamais rien coupé