Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/293

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s’enivre de la poudre, et qui le brûlait, comme la poudre, au milieu de toutes les furies et de tous les délires de cet esprit dont il abusait, retrouvait parfois, insensé superbe, même dans l’orgie, tout à coup, ce soupir de flûte que Monselet le viveur a aussi, cette note triste et irrésistible qui est pour moi la note fondamentale du poète… J’ai assisté quelquefois au triomphe de la note divine. C’était à la fin de soupers fous. On n’en pouvait plus ; on pleurait à force de rire. Les éclats de ces rires faisaient danser les vitres, etles chansons déchevelées bondissaient comme des Bacchantes jusqu’à ce plafond qui semblait tourner comme le ciel et contre lequel elles jetaient et brisaient leurs verres. C’était la gaieté déchaînée, et puisée à cette coupe de Circé qui change les hommes en bêtes rugissantes. Eh bien, si la note mélancolique et inattendue se mettait soudainement à vibrer dans quelque couplet de Beauvoir, cette note faisait à l’instant le silence et créait la rêverie. Les femmes qui étaient là, imbécilles de tout excepté de beauté physique, ces femmes qui n’avaient guères plus d’esprit que des pêches et plus de cœur que des ananas, sentaient leurs pulpes traversées. Émues, elles mettaient le front dans leur main, et peut-être qu’une larme furtive tombait dans leur verre… Monselet a cette note comme l’avait Beauvoir, perle qu’il a jetée dans tous les vins qu’il a sablés, depuisl’Aï jusqu’àl’ArgenteuiL, etquine s’y est pas dissoute. Plus heureuse que celle de Cléopâtre,