Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/343

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ces sybarites qu’on appelle des poètes, a pu s’en plaindre et en souffrir, mais ce n’est pas moi ! Il était dans la nature des choses. Il ne pouvait pas être un succès uni comme le plat de la main, facile à enlever comme un ballon dans lequel il n’y a personne, fluant, sans rencontrer d’obstacle, comme une inondation de bêtise satisfaite rappelant, par exemple, le grand succès de feu Ponsard, dont la Lucrèce fut d’abord un succès de lecture dans je ne sais plus quel salon et qui devint célèbre du soir au matin, tant cet adorable médiocre de Ponsard était délicieusement en accord parfait avec la médiocrité universelle, qui décide detout dansunpays oùla majorité fait loi. Mais, que diable ! quand on est Maurice Rollinat, on n’est pas Ponsard.

Il s’était trop fié, lui, Rollinat, à la première impression causée par le plus inattendu des talents, et il fallait d’autant moins s’y fier que c’était la bonne. Elle avait été très vive et très profonde. Le coup avait porté à fond, quoique soudain. Mais comme on devait revenir vite contre cette impression première, et comme on aurait peu dû s’en étonner ! Talent à triple face, M. Maurice Rollinat, trois fois poète, l’était deux fois trop dans un pays où c’est même souvent trop que de l’être une fois. Il était poète, comme tous les poètes, mais il était le grand diseur et le grand acteur de ses vers comme il en était le musicien. Il les chantait luimême sur une musique jumelle, puisée à la même