Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/344

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source d’inspiration que sa poésie. Et, par ce genre d’exécution, il rappelait, je viens de le dire, Thomas Moore, l’ami de lord Byron, qui avait enchanté autrefois les salons de Londres avec ses Mélodies Irlandaises. Seulement, en Angleterre, pays fortement hiérarchisé où l’orgueil supprime la vanité et où la supériorité n’est pas une insulte, tant l’orgueil doublant leur égoïsme fondamental rend les Anglais contents d’euxmêmes, cela n’avait pas d’inconvénient et n’offensait personne, tandis qu’en France cela devait, en y pensant bien, blesser tout le monde. En France, la moins pardonnée des impertinences c’est de se permettre de ne pas emboîter le pas avec tous.

Et c’est ce qui est arrivé. La girouette française, sur son pivot fixe, la vanité, a tourné, et elle s’est retournée. A la réflexion, on a été injuste, après avoir été juste dans la surprise de l’émotion. On a été injuste et ingrat envers un talent qui avait donné un plaisir de la plus étonnante électricité, et on est allé dans l’ingratitude jusqu’à nier au poète sa sincérité. L’émotion qu’il avait causée était indéniable, c’était un fait comme un coup de marteau sur une enclume est un fait, mais on lui chicana la vérité intime du sentiment qui la produisait. Il avait eu son petit quart d’heure de Sarah Bernhardt, mais la pendule retentissante, après avoir si fort retenti, ne sonna plus. Elle s’était arrêtée. Ceux qui avaient applaudi avec le plus d’enthousiasme l’étrange poète à trois voix, ont mieux aimé