Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/345

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se déclarer dupes d’un faux artiste que de reconnaître la force réelle d’un talent vrai. Les petits poètes du temps qui lisent leurs vers dans les salons de manière à faire bailler les chaises, les musiciens qui osent s’entendre, et, qui sait ? peut-être aussi les acteurs, dont le talent n’est au fond qu’une singerie, ont déclaré, en leur ame et conscience, que Rollinat et ses Névroses — ces Névroses (malheureusement ! ) vraies jusqu’à la maladie — n’étaient pas sincères. Le serpent charmeur des soirées de Paris n’était plus pour eux qu’un clown déhanché qui, la sébile aux pieds, jouait l’épileptique de grand chemin. Ils lui avaient donné. Ils avaient mis dans sa sébile. Maintenant, ils y reprenaient leurs gros sous. Noble spectacle !… J’ai ouï même qu’un grand sincère en littérature, le grand sincère de Tragaldabas et de Profils et Grimaces, qui doit justement se connaître en grimaces, celui-là ! avait dit, un soir, après avoir entendu cet extraordinaire Rollinat, qu’il était certainement très puissant, mais qu’il doutait qu’il fût sincère. Comme si ce n’était pas trahir et déshonorer sa propre admiration à soi-même que d’exprimer, après elle, un pareil soupçon ! Comme si on pouvait faire la preuve mathématique de la sincérité d’un homme ! Comme si cette sincérité, fille mystérieuse et invisible de la conscience, pouvait se prouver autrement que par la puissance de l’accent qu’elle a, et dont, ce soir-là, précisément, on convenait !

Triste et grotesque histoire, malgré son éclat, et