Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/55

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frappèrent tout le monde à la tête, et la tête de presque tout le monde garda si bien l’impression du coup, qu’aujourd’hui c’est s’aventurer que de dire tardivement et hardiment comme je le dis : le meilleur de la poésie d’André Chénier n’est pas là ! Et cependant, pour toute Critique virile, et qui s’attache surtout dans l’appréciation des œuvres fortes à la profondeur de l’accent qui y retentit et qui semble venir de si avant dans l’âme humaine qu’on dirait qu’il en est littéralement arraché, rien de l’exécution la plus savante, la plus pondérée, la plus précise et tout à la fois la plus pittoresque et la plus musicale, ne vaut ce rugissement de l’âme élevée à sa plus haute puissance et qui rencontre un mouvement et une expression en équation avec sa foudroyante énergie !

C’est là le sublime de la poésie lyrique. Or, la poésie lyrique est, dans la hiérarchie poétique, la première de toutes les poésies. Elle l’emporte de toute sa hauteur et de toute son intensité sur les délicatesses, les mollesses et les grâces naïves, mélancoliques ou riantes, de la poésie élégiaque et de la poésie bucolique. André Chénier, qui chercha si longtemps une inspiration dans les littératures anciennes dont le charme — car elles ont un charme, ces Syrènes ! — invinciblement l’attirait, André Chénierne savait pas, comme disent les poètes, quel dieu il portait dans son sein. Il n’ambitionnait que d’être un Théocrite ou un Tibulle,