Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’airain de 1830. Auguste Barbier, bien évidemment, avait pris le feu sacré sur l’autel où André Chénier l’avait allumé. Il avait pris à Chénier, à ce Grec charmant et mélodieux, devenu, de Grec, tout à coup, Français, pathétique et méduséen, non seulement sa forme iambique, mais jusqu’à cette langue inouïe d’un cynisme ardent qui se purifie dans sa flamme ; et, le croira-t-on ? on ne s’en aperçut même pas. On accepta Barbier comme un homme d’une originalité inattendue et saisissante. Il n’avait pas d’ancêtre. Prolem sine maire creatam ! Il tombait du ciel, comme un bouclier salien. Cette flûte d’Alcibiade dont avait joué Chénier, qui, comme Alcibiade, ne l’avait pas jetée aux fontaines, mais dans le sang qui noyait la France ; cette flûte, plus enchantée que celle de Mozart, avait tellement pris les oreilles et l’imagination charmées, que de ce ravissant Chénier on n’avait pas, tout d’abord, entendu autre chose… et que Barbier fut regardé par tous comme le seul Archiloque de la France, tandis qu’il y en avait deux, et qu’il n’était que le second. Ce n’était pas tout à fait le mot de Shakespeare, mais cela le rappelait : « César et le danger sont deux lions mis bas le même jour, mais César est l’ainé et César sortira. » Des deux lions qui avaient rugi la même poésie, André Chénier était l’ainé, et c’était Barbier qui était sorti !

Eh bien, nous voudrions faire sortir l’autre et le faire entrer dans sa seconde gloire, qui devrait