Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/63

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et de poésie, cette espèce de torse à la Michel-Ange, en corselet, qu’on appelle Agrippa d’Aubigné, — le poète-capitaine, — et ils avaient jeté un cri d’admiration devant la grande tournure de ses vers… Ce fut une surprise ; il était à peu près tombé dans l’oubli. Le xviie siècle, fils de Richelieu et de Malherbe, le siècle de la Règle en tout, et lexvme, le siècle, en tout, du Dérèglement, ne pouvaient avoir de mémoire au service de ce protestant fanatique, qui, après la mort de Henri IV, ne s’était pas r endu et s’en était allé guerroyer en Suisse, chef d’opinion religieuse et tellement protestant qu’il n’en était même plus Français ! Évidemment, un temps et une littérature qui oubliaient le grand marquis de Ronsard, l’astre majestueux de la Pléiade, devaient bien plus profondément oublier ce vieux soldat huguenot de d’Aubigné, qui rimait à la diable, — àlafière franquette du soldat, — l’arquebuse sur le cou ou le cul sur la selle.

Excepté des curieux de bibliothèque, cherchant partout des détails de mœurs et d’Histoire, on ne lisait plus guères le Baron de Fœneste et la Conversion de Sancy, ni non plus les Tragiques, le principal ouvrage de d’Aubigné pourtant, le seul qui puisse justifier la gloire posthume qu’en ce moment on cherche à lui faire. Ces Tragiques n’avaient même été révélés au public auparavant que par des vers pris çà et là dans ces vigoureuses satires, et l’effet n’en remonte guères plus haut qu’à ce fameux