Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/70

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n’a pas perdu une seule des paroles du soldat devenu prophète, et elles ont une beauté grandiose : « Dieu — dit-il — vous a frappé à la bouche, Sire (le « couteau avait glissé, en remontant, jusqu’à lalèvre), « parce que vous ne l’avez encore renié que debouche. « Quand vous l’aurez renié de cœur, il vous frappera « au cœur. » Ce jour-là, le sectaire montait jusqu’au terrible des Livres Saints. L’âme religieuse de cet homme triple atteignait au sublime d’une foi profonde, quoique erronée ; mais pour retomber bientôt de cette hauteur aux faiblesses, ou aux forces, de l’humanité : à l’amour toujours païen de la femme, — à cette époque plus païen que jamais, — aux fureurs sacrées, comme disent les poètes, de la Muse, aux sonnets ardents qu’à la cour, pendant les trêves de ces guerres protestantes, il jetait, comme des torches, dans l’escadron volant des filles de la reine, pour leur embrâser les sens et les cœurs. Poète par-dessus le soldat, — pardessus le sectaire, — par-dessus l’amoureux ! — poète partout et toujours : en ces Psaumes traduits pour le service de Dieu, en ces sonnets, en ces élégies, en ces héroïdes, en ces stances, en tous ces vers humains et vécus dont le troisième volume de ses Œuvres est rempli.

C’est là, en effet, bien plus même que dans les Tragiques, que l’on trouve le véritable Agrippa d’Aubigné. Dans les Tragiques, c’est Juvénal. C’est un Juvénal vigoureux comme l’antique, mais malheureusement