Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/145

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il se met à l’aimer dès la première vue avec la passion de l’épigraphe du livre, une de ces passions qui font deux êtres l’un à l’autre de par la nature et de droit divin, plus légitimes par conséquent que les lois et les conventions !

Après beaucoup de conversations et de promenades, cette passion les fiance tous les deux, et s’ils ne s’appartiennent pas dans le roman, ils s’y donnent du moins leurs anneaux et quelques baisers, tout cela, bien entendu, malgré le mariage, connu de la jeune fille, et dont le sombre Daniel, dans les plans de l’auteur, reste et doit rester la victime. En effet, là est le sens du livre. C’est le mariage, la racine de tous les maux, le mariage indissoluble, imprévoyant, sacrilège envers la sainte et libre nature, et que les écrivains comme M. Feydeau ont pour mission de faire détester ; c’est le mariage, pour qu’on le maudisse, qui doit mettre le sceau à la destinée et à l’infortune de Daniel ! Voici comment, du reste : un rival ingénieux fait courir le bruit d’une réconciliation entre Daniel et sa femme, depuis longtemps abandonnée, et le coup de cette nouvelle développe chez la jeune fille une maladie de cœur qui la tue et qui le fait se tuer sur le cadavre de sa maîtresse, comme Roméo.

Car Roméo, Werther, Lara. Faust, Chateaubriand, ils y sont tous, héros ou auteurs romantiques, dans ce dernier des romantiques, dans ce romantique défait et changé de la dernière heure ; ils y sont tous, dans ce Daniel, mais, hélas ! costumés avec le caoutchouc du siècle, baissés de trente-six crans, et transposés du ton féodal dans le ton moderne et bourgeois ; et les événements de ce poëme, en strophes de prose, sont