Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/170

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M. Féval débuta, si vous vous le rappelez, par Les Mystères de Londres. Il était très-jeune alors. Il avait peut-être écrit d’autres livres ; mais la date de nos débuts, quand nous n’avons pas écrit quelque œuvre incontestable de génie dans l’obscurité, est toujours dans le premier bruit que nous faisons. Les Mystères de Londres furent comme un écho des fameux Mystères de Paris. C’était le temps du tonitruant succès de ce grand roman d’aventure à travers un monde que jusque-là la littérature n’avait pas osé aborder. Ce succès, comme on n’en a pas revu depuis pour des livres bien supérieurs, dut être un de ces faits décisifs dont l’influence reste sur l’imagination d’un jeune homme qui débutait, comme tout jeune homme débute, par l’imitation, mais qui, dans son imitation cependant, en donnant la patte, comme M. Eugène Sue, laissa percer à plus d’une place une griffe d’originalité.

Je n’ai pas à peser ici sur ce premier livre de M. Féval pour lequel la Critique du temps fut sans grandeur. Elle répéta avec platitude que les Anglais trouvaient que M. Féval ne savait ni la grammaire de leur langue, ni la grammaire de leurs mœurs, comme si dans leur insularisme susceptible et hautain et tout aussi intellectuel que politique, les Anglais, enragés de nationalité blessée et justes comme des bœufs qui saignent, ne dénigreront pas toujours l’étranger qui voudra les peindre ou s’avisera de les juger ! Je serai plus juste, moi. Si véritablement, quand il écrivit ses Mystères de Londres, le jeune auteur ne connaissait pas l’Angleterre, il était plus étonnant d’intuition que s’il l’avait patiemment et laborieusement étudiée ; et à présent qu’il s’agit pour nous moins de