Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/185

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éclat et tant de puissance, M. Jules Janin l’a toujours eue. Rappelez-vous la Clarisse qu’il publiait il y a, je crois quatorze ans ; rappelez-vous ce livre inouï et sans exemple, de l’aveu de ceux qui l’ont le plus sévèrement condamné. Cette Clarisse de M. Janin n’était pas la Clarisse de M. Janin. C’était la Clarisse de Richardson. M. Janin, qui entre aujourd’hui, et triomphalement, dans la peau de Diderot, — et laissons cette expression trop matérielle pour ce qu’elle veut exprimer, mais disons : dans l’individualité d’un talent énorme qu’il s’agit de s’assimiler, — M. Janin, aujourd’hui audacieusement Diderot et merveilleusement réussi, fut alors aussi audacieusement, mais moins heureusement, Richardson. Il ne traduisit pas seulement, il ne condensa pas seulement l’œuvre de génie sur laquelle il porta cette main coupable, à laquelle les femmes pardonnent tout, quand elle est coupable par trop d’amour… Il fit bien plus. Pour me servir d’une expression hégélienne, il voulut, il essaya de repenser la pensée même de Richardson, et il prodigua dans cette tentative les ressources d’un très-grand talent. C’était un prélude ; le prélude de ce qu’il vient d’exécuter admirablement aujourd’hui avec un détail infini, une possession de soi, une fécondité dans cette Fin du Neveu de Rameau, dans cette œuvre singulière, dont l’inspiration première ne lui appartient pas et qui, s’il l’avait, serait du génie.

Car voilà ce sur quoi il convient d’appuyer. La seule supériorité qu’ait Diderot sur M. Jules Janin, c’est l’invention, c’est la donnée première, c’est là conception du personnage, de ce Neveu de Rameau, qui