Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rouleau que la civilisation, cette Tarquine à la main douce, qui ne fait pas voler les têtes de pavot sous les coups de baguette, mais qui se contente de les coucher par terre en les caressant, promène par-dessus toutes choses, comme dans une allée de jardin ! A cette heure, la civilisation est au Comtat, comme partout, malheureusement pour l’imagination. Elle y est, et la preuve, — ne riez pas, — c’est qu’on y joue des tragédies !

« En 184… (c’est ainsi que s’ouvre le roman du Marquis des Saffras), pour la Saint-Quinid, fête de leur paroisse, les paysans de Montalric donnèrent une grande représentation de La Mort de César. Depuis quelques années on s’était mis à jouer des tragédies dans nos villages du Comtal. Pour les fêtes votives on montait les pièces de Racine et de Voltaire : Zaïre, Athalie, Brutus et César, — César, Brutus, Athalie, Zaïre, — on ne sortait pas de là à Monteou, comme à Saint-Didier, à Sarriano comme à Méthamis et à Beaume de Venise.

» Entre toutes ces bourgades, c’était une lutte ardente, une émulation sans égale pour bien faire et se surpasser. Les vieilles jalousies de village étaient transformées. On était en rivalité de tragédies, et dans ces luttes pacifiques on apportait la même passion que dans ces rixes terribles où, vingt ans auparavant, des villages entiers venaient offrir la bataille aux villages ennemis. »

Or, à cette tragédie jouée à Montalric, il y avait, au milieu de la foule compacte, un homme qui assistait pour la première fois a cette solennité, et c’est de la rencontre et de la combinaison de la tête singulière