Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/201

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de cet homme, simple potier-terrailler de son état, et de cette tragédie, dont l’impression le bouleversait, que va sortir tout le roman de M. de La Madelène. La matière d’un conte va devenir sous sa plume celle d’un volume en cinq livres. Une tragédie de Voltaire, qu’un paysan du Midi veut faire jouer à la fête votive de son village, parce qu’il a au fond de sa poitrine ce souffle immortel du paganisme qu’on appelle l’amour des spectacles et qu’ils ont tous, ces Romains et ces Grecs d’Avignon, de Marseille ou d’Arles, voilà la frêle bobine sur laquelle l’auteur du Marquis des Saffras dévidera la plus belle étoffe d’écarlate dans laquelle on ait jamais taillé un récit. Tableau de genre, à ce qu’il semblait, qui monte jusqu’à la fresque et prend des proportions assez vastes pour pouvoir peut-être vous étonner !

Cet homme, en effet, ce potier-terrailler qui est de la montagne et qui s’appelle Espérit, EIzear Siffrein Veran Espérit, citoyen de Lamanosc, n’est autre que le héros du livre, le Marquis des Saffras, un sobriquet qu’il tenait de sa maison adossée à ces rochers de sable qu’on appelle dans le pays des saffras. « Le pic et le ciseau jouent à l’aise dans ces roches sablonneuses mêlées de cailloutis. Espérit y avait creusé des caves d’abord, puis des serres, puis des escaliers… Il avait creusé, creusé toujours, poussant devant lui son terrier à droite, à gauche, en haut, en bas, niche sur niche, jardinets sur jardinets. » Artiste de nature, ayant des dons, comme eût dit le Bas-de-Cuir de Cooper, Espérit avait élevé « au plus haut de ces constructions une sorte de tourelle en bois, à balustres crénelés, où grinçaient des girouettes et des horloges à vent.