Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/252

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qui mord les choses les plus subtiles et les fixe sous le regard dans leur plus imperceptible ténuité, M. Duranty n’est un grand écrivain, et je doute qu’il parvienne jamais à cette transcendance.

Si le style n’était qu’une chose très-travaillée et très-bien faite, affinée, polie et brillante, comme un acier quelconque, tournant souplement dans ses charnières, ou glissant moelleusement le long de ses rainures, l’auteur du Malheur d’Henriette Gérard n’aurait peut-être rien à désirer ; mais pour être véritablement supérieur, le style doit se composer de plus d’éléments qu’il n’en tient sous la plume de M. Duranty et sous celle des deux grands positifs qu’il a, je crois, pris pour modèle. Le sien et le leur manquent également de transparence, de couleurs fondues et de souffles dans la lumière ; et voilà comme tous trois ils portent jusque sur leur style, qui est pourtant le meilleur d’eux-mêmes, la peine d’avoir méprisé l’idéal.

Car tous les trois l’ont méprisé, mais M. Duranty plus que les deux autres, puisqu’il est réaliste, et puisque, sur ce point, il ne distance pas son école, mais va d’un même pas avec elle. Le crime littéraire de l’école de M. Duranty est de méconnaître l’idéal. Son réalisme n’est rien autre chose que le mépris naturel de l’idéal, auquel la réflexion a ajouté le sien, dans l’impudence d’une théorie. Que ce soit par un fait d’organisation ou de prudence, il est des esprits qui ont des ailes à contre-sens, et qui au lieu d’être attirés vers les choses grandes, élevées, poétiques, descendent, croyant monter, vers les choses mesquines, prosaïques ou abjectes, s’imaginant, comme je l’ai dit déjà,