Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

reprocher, avec tous les desiderata que le bon sens pouvait formuler aux pieds de son génie, Balzac reste tellement colossal encore, que la Critique en est accablée, que l’Imagination en sourit, et que diminué, oui, réellement diminué dans sa stature, il ne nous paraît pas moins grand ! L’effet qu’il produit n’a pas changé. On peut lui chercher des analogues, une parenté, une filiation intellectuelle ; et, comme tous les génies qui ne tombent pas du ciel, il en a une, mais il transfigure sa race en lui. On s’imagine l’avoir abaissé quand on l’a fait sortir de Rétif de la Bretonne, mais c’est un Rétif de la Bretonne sublimisé et mêlé à un Dante, — à un Dante romanesque et moderne, le Dante d’un temps qui a estropié toute grandeur ! Ce qui a dominé, hyperdominé son talent, c’est le mécontentement de ce qui se faisait autour de lui et l’envie de le refaire pour montrer ce qu’on pouvait tirer de tous ces idéals manqués ! Dans le morcellement universel il cherchait son unité propre et butinait partout pour composer l’œuvre originale dont la conception ne le quitta jamais. Il écrivit des livres comme on prend des notes de trois et quatre lignes et dont on se propose de faire des ouvrages qui souvent ne voient pas le jour. Combien de pages, de pensées, de pierres d’attente hésitons nous à sacrifier dans l’économie de nos travaux, tandis que lui, Balzac, sacrifiait des livres entiers comme on sacrifie des notes perdues ! Malgré cette surface d’orgueil que les petits amours-propres blessés aperçoivent, il avait une humilité éternelle. Ses ouvrages retouchés avec acharnement, ses pages incessamment remaniées, ses textes intercalés dans les