Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/28

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textes et son style qu’on appelle surchargé, en témoignent. Un jour Chateaubriand, dans un commentaire de l’Essai sur les révolutions, se donna publiquement la discipline avec une coquetterie de pénitence qui était de la vanité à l’envers, mais Balzac fut souvent un pénitent plus profond et plus vrai. Il se rétractait par en haut. Il opérait plus intimement sur son œuvre et sur sa pensée. Il faisait mieux que de se corriger, il se purifiait. M. Poitou ose lui opposer, pour le convaincre de scepticisme, je ne sais quelle préface de 1835. C’est trop oublier que les préfaces de Balzac, raturées d’ailleurs par la grande préface de La Comédie humaine, qui ne fut pas le dernier mot que son génie prononça, n’étaient dans ses travaux et dans ses idées que des jalons, bientôt dépassés et bientôt abattus. C’est en effet le caractère particulier de l’esprit de cet homme plus étonnant que son œuvre, quoique son œuvre soit un monument, de toujours s’élever, de toujours s’accroître, et par cela même d’avoir plus besoin du temps que personne. Il avait compté sans la mort. Disproportionné avec la nature humaine, avec les talents les plus beaux de son époque et de toutes les époques qui eurent des côtés plus parfaits, mais qui ne furent pas plus puissants ; à quarante ans majeur à peine, mort à cinquante dans une plénitude de midi pour nous, qui n’était pour lui qu’une aurore, il était de conception infatigable. Là où il avait percé l’horizon, à ce qu’il semblait, jusqu’à sa dernière limite, il en creusait un autre encore qui s’ouvrait dans les profondeurs du premier. Alchimiste de littérature, comme l’avaient été de leur temps Shakespeare et Molière, Balzac était