Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/318

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le compléter, — Balzac mit huit ans à écrire son Médecin de campagne, — mais elle reste, couvant son œuvre comme une mère. Elle ne s’en déprend point et elle ne l’abandonne pas. Il est vrai que, pour tout autre que M. Théophile Gautier, cette interruption prolongée d’un livre qu’on a commencé équivaudrait à une mort sur pied de ce livre, mais M. Gautier n’est pas un de ces hommes qui procèdent par inspiration et qui ont l’ardente maternité de leurs œuvres. Ce n’a jamais été un esprit de vigoureuse et rapide spontanéité. C’est un écrivain d’application et d’agencement, de creusement et de volonté, lequel a la religion de Buffon : que le génie n’est qu’une patience… En raison même de ses facultés et de ses théories qui font suite à ses facultés, je crois bien que M. Théophile Gautier est peut-être le seul des écrivains actuels qui pouvait jouer sans déchet à ce jeu interrompu du Capitaine Fracasse, et l’achever aujourd’hui à peu près comme il aurait pu l’achever il y a trente ans. En effet, il a pu le reprendre pendant cette période comme un ouvrier reprend son ouvrage matériel, et, pour l’achever, il n’a pas eu plus besoin de verve qu’il n’en faut à une femme pour continuer un ancien tricot ou quelque vieux morceau de tapisserie… Et d’autant que Le Capitaine Fracasse n’est que cela !

Car ce n’est pas même un tableau. Le Capitaine Fracasse, sachez-le bien, n’est qu’un morceau de tapisserie faite d’après les tableaux, plus ou moins oubliés ou empoussiérés maintenant, de ces maîtres qu’on appelle Scarron, Mme de Lafayette, Segrais, Scudéry, Cyrano de Bergerac, et, pour mieux dire, tous les romanciers du commencement du dix-septième