Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/347

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de la Revue des Deux-Mondes dont il était l’Alexandre, c’étaient les amis de M. Mérimée qui tenaient partout la plume de la critique. Dans ce temps-là, on marchait en phalange, on se soutenait, on se poussait ; et, d’un autre côté, le bonheur fut si obstiné pour M. Mérimée, que, quand, plus tard, ce talent, qu’on disait si concentré, se concentra toujours davantage, et à force de se concentrer… disparut ; quand, littérairement, le conteur tarit et se fît historien et savant, de romancier et de conteur qu’il avait été jusque-là, cette évolution de son esprit lui fut, le croira-t-on, une fortune encore. On regretta le parti qu’il prenait. Le contraste des livres qu’il publia avec les romans et les contes qu’il avait publiés, servit énormément à ses premières publications, et en augmenta rétrospectivement la valeur. On alla jusqu’à croire à une abdication en pleine force. C’était une erreur. Il n’en est jamais rien. On n’abdique que quand on se voit périr. Je demande pardon de rappeler Sylla à propos d’un faiseur de livres, mais qui prouve le plus, prouve le moins. Sylla lui-même ne résilia la dictature que quand il ne fut plus sûr de la tenir. Il l’avait pourrie dans le sang qu’il avait versé… On ne renonce à son talent, comme à son pouvoir, que quand il s’en va… M. Mérimée eut-il conscience de la diminution du sien ?… Esprit ferme et rusé, plein d’entregent et de rétorsion, il se conduisit comme ces habiles coquettes qui quittent le monde avant que le monde ne les quitte, et il essaya de masquer, sous des travaux plus ou moins tourmentés d’art ou d’histoire, l’impuissance de l’inventeur qu’il sentait venir…


II