Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/348

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D’autant que l’inventeur, chez M. Mérimée, n’avait jamais été immense. Comme inventeur, M. Mérimée n’était pas plus original et plus profond qu’il n’était abondant et coloré comme écrivain. Metteur en œuvre d’une très-remarquable vigueur de main, il n’en était pas moins un esprit privé de toute grande puissance spontanée. Il pouvait tenailler et reforger à froid des sujets qui avaient passé sur des enclumes plus brûlantes que la sienne, mais qui gardaient sous son marteau des empreintes et des contournements qu’il n’était pas de force à effacer. Pour n’en donner qu’un seul exemple : dans la Lydie de Colomba, M. Mérimée voulut refaire, en la variant, — on n’ose pas dire en la nuançant, — la grandiose figure de Mathilde de la Môle du Rouge et Noir, de Stendhal ; — de Stendhal, qu’il imita toujours et dont il avait beaucoup de choses, mais dont il n’eut jamais ce que j’estime le plus en Stendhal : l’aperçu et le piquant d’idées. Si j’avais à dire ma pensée dans un mot, je dirais que M. Mérimée est une espèce de Stendhal-Boissec ! Stendhal, lui, n’était sec que de style. M. Mérimée, comme tous les faibles qui courent cette grande aventure d’aimer les forts, a été la victime de Stendhal. Il l’avait connu dans sa jeunesse, à cette heure de la vie où nous nous faisons tous de quelque homme supérieur un idéal. Dans la Correspondance de Stendhal, publiée après sa mort, nous trouvons des lettres à M. Mérimée, qui sont des conseils de vieux pilote à un