Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/385

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mais tous les grands poëtes sont sataniques en Angleterre, et M. Lawrence, qui a certainement beaucoup du poëte dans le talent, mais qui est plus spécialement un moraliste, a été satanique aussi dans son Guy Livingstone. Seulement, à la conclusion, chose étonnante ! le byronien s’est brisé tout à coup, et le biblique, le juif à la tête dure qu’il y a toujours plus ou moins au fond de tout Anglais, a disparu entièrement pour faire place au chrétien qui se trouve si peu dans l’imagination anglaise, car, après tout, le génie du chrétien, c’est l’humilité ! Guy Livingstone, ce Samson, victime de sa force comme l’autre Samson, Guy Livingstone, ce dandy héroïque, qui efface d’un trait tous les dandys connus dans l’histoire des mœurs de l’Angleterre, finit par la douceur de l’humilité sous la plus mortelle injure, parce qu’il a promis à la femme qu’il a aimée et perdue d’être doux, et qu’il veut la revoir dans le ciel !

L’homme qu’il a offensé (le frère de sa bien-aimée) le soufflette avec son gant, et, quoiqu’il soit à l’heure de mourir, le Samson anglais n’a pas la tête tondue par Dalila, ni les yeux crevés par les Philistins. Son cheval lui a cassé les reins, il est vrai, mais il a encore des bras terribles, des bras auprès desquels les bras de Rob-Roy ne sont que des fuseaux, et cependant le lion outragé ne rugit même pas et ne fait entendre qu’une parole, non de pardon, mais qui demande pardon ! Il peut briser l’offenseur, et il l’épargne, lui qui n’a jamais rien épargné. Eh bien ! voilà un sublime nouveau introduit dans la littérature anglaise, et l’honneur de M. Georges-Alfred Lawrence sera de l’y avoir mis. Dandie ou puritaine, la littérature