Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/78

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Il n’était pas de la nature de Diderot, quoiqu’il en eût la philosophie. Diderot, qui croit qu’on peut faire de l’âme comme on fait de la chair, est amoureux de l’abstraction. Il étreint cette nuée en furie. C’est l’Ixion de l’abstraction avec un tempérament de satyre. Stendhal, lui, s’ajuste à son matérialisme, et s’y assimile si bien, qu’à peine s’il en parle. Il n’y a pas plus de trois lettres de la Correspondance où il convienne nettement de son incrédulité, et où il nie Dieu avec une insolence tranquille. Diderot parle de la matière en se cabrant d’effroi devant elle. Il a peur de mourir comme Pascal. Il a des mots qui sont des affres. « La caducité, dit-il en blêmissant de se voir vieux, a un pied sur un tombeau et l’autre pied sur un gouffre. » « Stendhal, dit son biographe, M. Mérimée, ne craignait pas la mort, mais il n’aimait pas à en parler, la tenant pour une chose sale et vilaine plutôt que triste. » En se laissant saisir par la glace du matérialisme, un homme comme Diderot pouvait donc ne pas s’éteindre tout entier, tant il était bouillonnant ! Mais un homme comme Stendhal, matérialiste, n’avait plus guère dans le talent que les qualités de la matière, ferme, pénétrant, aiguisé et brillant comme elle, et son esprit finissait par n’être plus qu’un admirable outil d’acier.

C’est cette plume qui ne s’est jamais amollie, même quand elle a voulu être tendre, que la Correspondance de Stendhal montrera mieux encore que les livres qu’il nous a laissés. Dans cette Correspondance, qui commence en 1829 pour finir en 1842, nous trouvons, au milieu de toutes les questions intellectuelles qui y sont agitées, plusieurs lettres où Stendhal