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Au Château de Marcelet, Samedi.


Mon cher Trebutien,

J’ai reçu votre paquet et je vous remercie. J’ai moi-même porté à votre mère la lettre que vous lui adressiez. J’ai pris plaisir à être un messager de joie pour cette pauvre et digne femme à qui Dieu, avare de cette chose qu’on appelle bonheur, n’en envoie pas un tous les jours. Je l’ai trouvée bien, sauf les larmes au fond de l’œil, essuyées, mais non pas taries. J’ai vu mademoiselle votre nièce aussi, un bel enfant, plein de silence, mais non muet, car l’intelligence n’a pas besoin de la langue des nourrices. Elle ne crie pas et n’a pas peur. Mes moustaches à la guisa di Leone ne l’ont nullement épouvantée. C’est une intrépide et douce créature, comme devraient être tous les enfants si on les élevait bien. Faites-en votre compliment à votre mère. Quant au physique, elle est blanche, et, à ce qu’il m’a semblé, souple ; le reste est encore bien confus, mais les mains sont d’un sculpté très pur. On m’a dit qu’on la baignait tous les jours ; excellente habitude. J’ai conseillé qu’on la sevrât le plus tôt possible. Par une sensibilité mal entendue, très souvent on retarde le moment du sevrage, et on effémine ainsi les enfants. Eh ! mon Dieu, l’amour des mères est encore plus égoïste qu’on ne croit.

Guérin m’a demandé, au nom de ce lambin de Dupont, un nouveau délai pour la lecture de ce damné manuscrit[1], mais je suis ennuyé, irrité et à bout de toutes ces traîneries

  1. Germaine, devenue : Ce qui ne meurt pas, publiée en 1883 dans le Gil Blas.