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Page:Barbey d’Aurevilly - Lettres à Trébutien, I, 1908.djvu/26

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Je ne sais si c’est la contagion ou quelque corde oubliée qui se retend en moi, mon ami, mais moi aussi j’ai eu des quarts d’heure de poésie depuis que je ne vous ai vu. Je vous apporterai trois pièces de vers qui ont eu l’applaudissement de mon frère. L’une est adressée à une jeune fille de quatorze ans, une autre n’est que des stances sur la vie, écrites dans un rhythme que j’ai inventé (vous savez combien je suis sévère sur le rhythme) et dans un moment où la vie me noyait de poignantes amertumes, et enfin une troisième, que je crois antique de pureté, d’attitude et de simplicité fière, une réponse au mot d’une femme : Oh ! pourquoi voyager ! dont mon frère a fait une exquise élégie. Je vous montrerai les deux morceaux.

Dans ces incursions sur la lisière d’un pays dont je suis banni (la poésie), je n’oublie pourtant pas mon Alpha et Oméga. J’y ai aussi travaillé un peu. Enfin, mon ami, j’espère que vous serez content de moi. Tâchez de trouver un libraire pour la Bague d’Annibal ; vous savez quels sont nos arrangements. Je vous la remettrai sans aucun changement que le nom de l’héroïne et allongée de quelques strophes. Je suis au bout de mon papier. Écrivez-moi, je l’exige : rien que voir votre écriture me chasse les nuages du front.

Tout vôtre,
Jules


Passez chez moi et dites à mon hôtesse le retard de mon arrivée en lui recommandant le silence. — Je tâcherai de voir votre mère… nuitamment. — Adieu. — Répondez-moi.