Page:Barbey d’Aurevilly - Poussières.djvu/21

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Le lépreux accroupi se mit sur ses genoux,
Surpris — le repoussé ! — de voir un homme doux
Ne pas montrer l’horreur qu’inspirait sa présence
Et ne pas l’écarter du bois dur de sa lance ;
Et touché dans le cœur de voir cette pitié,
Il osa, lui le vil, l’affreux, l’humilié,
Dans un de ces élans plus forts que la nature,
Au gantelet d’acier coller sa bouche impure.

Le malheureux savait qu’il pouvait appuyer,
Sans lui donner son mal, sur le brillant acier,
Le mouiller de sa lèvre, y traîner son haleine.
Lui, qui n’avait jamais baisé de main humaine,
Et qui donnait la mort d’un seul attouchement,
Vautra son front dartreux sur l’acier de ce gant.
Et le Cid le laissa très tranquillement faire,
Sans dédain, sans dégoût, sans haine, sans colère.
Immobile il restait, le grand Campéador !
Que pouvait-il penser sous le grillage d’or
De son casque en rubis, quand il vit cette audace ?
Quel sentiment passa sous l’or de sa cuirasse ?
Mais il fixa longtemps le lépreux, — puis soudain
Il arracha son gant et lui donna sa main.